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Le tabou des plaisirs solitaires

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C’est à l’âge adulte que les choses se compliquent. Hors du mariage ou au crochet d’une conjugalité morose, l’emprise du besoin d’éjaculer peut se reconstituer sans cesse, jour après jour : la masturbation va procurer un apaisement passager, une satisfaction toujours provisoire, même alimentée plus ou moins clandestinement par des outils d’inspiration pornographique. Mais ce qui est discutable c’est que ce mode solitaire d’excitation ne sert pas l’érudition érotique, ne débouche sur aucun raffinement des émotions, ne change rien pour tout dire à la qualité des orgasmes ni à la durée des érections… Il sera donc difficile de plaider en sa faveur si on objecte que c’est de la sexualité en pure perte, falsifiée.
 
Chez la femme, ce n’est pas la même histoire, il y a des circonstances atténuantes à invoquer pour plaider non coupable en cas d’abus de masturbation : la Nature n’est-elle pas avare de voluptés à titre gratuit avec les femelles de primates ? Pourquoi fait-elle preuve d’économies si draconiennes en privant leurs zones érogènes du petit supplément de luxure qui est si banal chez le mâle qui jouit ? C’est un fait incontournable, l’orgasme féminin n’est donc pas acquis par obligation, mais par malice. Une rébellion. La masturbation des filles est donc a priori plus subversive puisqu’elle récuse les lois biologiques qui n’ont de cesse de veiller au succès de la procréation, le plaisir étant un supplément facultatif…
 
Ce n’est pas tout. A l’opposé de la banalité évidente de l’anatomie génitale masculine, toute entière résumée à l’œil nu, le sexe des femmes est invisible, à l’intérieur du ventre, ouvert "en dedans", en cachette ! Or, le "tunnel" qui y conduit est un lieu de passage très fréquenté tout au long de la vie, des coits aux accouchements, sans qu’une bonne fée ne veille à assurer son salaire… Le vagin est bien seul, tant qu’il n’est pas inscrit au répertoire des zones érogènes à embellir.« En se caressant seule, une femme apprend à découvrir son corps, son fonctionnement, puis permet de montrer à leur partenaire ce qu’elle aime, en lui guidant la main » La masturbation est donc l’architecte d’intérieur de l’érotisme féminin. C’est en s’explorant de pied en cape que la femme dévoile les secrets de sa sexualité, recherche ses propres pistes qui aboutissent au déclenchement des orgasmes - itinéraires aussi personnalisés et incomparables d’une femme à l’autre que les empreintes digitales - traces que les partenaires vont devoir apprendre par cœur à leur tour pour être estimables.
 
Avant de taxer les femmes de "frigidité", a-t-on correctement pensé aux difficultés qu’elles doivent surmonter pour fabriquer de l’émotion avec du vide, un creux, le fameux "conduit vaginal", une cavité inhabitée, une fente, une fissure, la béance ? Ne devient-il pas dès lors légitime d’y enfouir les doigts ou des objets afin d’en explorer les parois et les contractions musculaires qui les soutiennent ? Les stimulations plus facilement récompensées de la zone clitoridienne ne résument donc pas la question : l’entreprise est inachevée tant qu’elle n’aboutit pas à la révélation du potentiel érogène des cavités qu’empruntent les "rapports". Ainsi, en silence, en secret, c’est cet autoportrait sexuel qui va permettre de faire le tri dans le désordre des sensations coïtales : contrairement à l’opinion masculine, si une femme parvient à jouir… c’est qu’elle le veut bien, et qu’elle a appris. Il n’y a pas de femme définitivement privée de jouissance, il n’y a que des femmes maladroites. Du coup, il n’y a pas lieu d’en faire une maladie, mais d’apprendre à en parler pour se révolter.