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Portez un autre regard sur l'obésité

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Entretien avec Jean-Philippe Zermati, médecin nutritionniste et Président du GROS

Savoir Maigrir : Dans sa lettre adressée à Monsieur Jean-Marie Le Guen, le GROS explique que les stratégies de la promotion de l’éducation diététique et de l’exercice physique ont fait la preuve de leur inefficacité sur le long terme en matière d’amaigrissement à un niveau individuel et qu’il ne sert à rien des les généraliser à la nation entière. Est-ce une façon de remettre en cause le PNNS qui prône une bonne alimentation et la pratique d’une activité physique ? Quelles seraient alors les solutions pour informer la population de façon positive ?
Jean-Philippe Zermati : Le PNNS et les préconisations de Jean-Marie Le Guen risquent d’aboutir à des effets délétères et inverses. A l’heure actuelle, les mesures préconisées par le PNNS, à savoir faire attention aux aliments gras et sucrés, manger plus de légumes et faire du sport, sont mises en place dans le monde entier. Et malgré ces messages, l’obésité n’est pas freinée et continue d’augmenter.
Nous n’avons pas de solutions parfaites et qui ont été expérimentées à l’échelle d’une population. Mais nous soutenons certains points importants, notamment celui de lutter contre la stigmatisation et la discrimination des obèses, dont les premières conséquences sont de faire basculer certaines personnes dans des comportements de restriction, en soulignant que les obèses sont des personnes qui mangent sous l’effet de leurs émotions. Et plus elles ont peur de grossir, plus elles mangent, contrairement à ce que l’on pourrait penser.
 
S.M. : Comment faire pour lutter contre cette discrimination des personnes obèses ?
J-P.Z. : Il y a un certain nombre de mesures à prendre. Dans un premier temps, il faut faire savoir à quel point l’obésité est une maladie soit physiologique, soit liée à des troubles psychologiques, et non une maladie de la volonté. Cela ne dépend pas du bon vouloir des gens d’être maigre ou gros. Il faut faire cesser ce préjugé négatif sur les gros qui consiste à dire : « s’ils sont dans cet état-là, c’est qu’ils l’ont bien voulu ». Il est donc tout à fait possible de passer par une information grand public via des messages de santé publique. Intégrer les personnes obèses, c’est aussi les défendre en développant des structures qui permettent de lutter contre les discriminations existantes. Au sein du milieu professionnel, c’est également faire disparaître les barrières qui empêchent la promotion de ces personnes qui, on le constate, n’accèdent pas à des postes de grande responsabilité. Or, l’une des manières de lutter contre la discrimination, c’est aussi promouvoir leur réussite, leur laisser les mêmes chances qu’aux autres.
Il y a d’autres façons de lutter contre la discrimination : faire en sorte que les personnes obèses puissent s’habiller correctement, ou que les gens représentés dans les messages publicitaires ne soient pas d’une maigreur extrême.
 
S.M. : Interdire les publicités concernant les produits alimentaires serait-elle une solution ?
J-P.Z. : Surtout pas. Il faut peut-être changer de type de message, arrêter de mettre l’accent sur le contenu nutritionnel du produit et tendre plutôt vers la promotion de ses qualités gustatives et gastronomiques.
 
S.M. : Vous évoquez la chasse à l’obésité. Comment se manifeste-t-elle ?
L’esprit de la proposition de loi de Jean-Marie Le Guen, c’est de dire que les gens ne sont pas ou mal informés et qu’il faut donc mettre en place une information massive à travers des messages de santé publique, un étiquetage très prononcé sur les produits afin que tout le monde sache ce qu’il faut faire pour lutter contre l’obésité. Mais nous risquons d’aboutir à une simplification et une classification des aliments qui amèneront à distinguer ceux qui sont bénéfiques de ceux qui ne le sont pas. A partir du moment où l’on va considérer que cette information circule, tout ceux qui n’arriveront pas à mettre en place ces principes érigés seront considérés comme responsables de leur état. Et cette situation risque de mal se terminer.
 
S.M. : Pensez-vous que ce projet de loi a une chance d’aboutir ?
J-P.Z. : En l’état, ce projet n’a aucune chance de limiter la progression de l’obésité.
 
S.M. : Et en adoptant d’autres manœuvres, l’obésité peut-elle diminuer en France ?
J-P.Z. : L’obésité est une maladie compliquée. Nous pensons qu’elle est le résultat de ruptures dans les régulations de l’individu et sociales. Nous voudrions déjà pouvoir établir des préconisations qui n’aggravent rien et qui, si possible, pourraient améliorer la situation. Ce qui n’est pas évident. Nos préconisations sont d’essayer de rétablir un comportement alimentaire normal, c’est-à-dire qui est naturellement et spontanément régulé. Alors que le comportement qu’on nous propose d’adopter en ce moment s’exerce sous le contrôle de la volonté.
Les régulations individuelles sont cette capacité de manger en fonction de sa faim. Normalement, le comportement alimentaire est contrôlé par les sensations alimentaires. Mais aujourd’hui, on nous propose un contrôle mental qui nécessite des efforts, qu’il n’est pas possible de maintenir sur la durée et qui, par la suite, entraîne des pertes de contrôles.
En ce qui concerne les régulations sociales, nous nous battons surtout contre une évolution de la société. Ces régulations se manifestent, par exemple, lorsque les gens partagent ensemble un même repas. Aujourd’hui, l’évolution fait qu’ils mangent plus rarement réunis, à des horaires différents et pas forcément les mêmes aliments. Il n’y a donc plus les mêmes régulations. Et puis, il y a une culture des aliments qui s’efface. Certains ne savent plus ajuster leur consommation d’aliments dans des quantités adéquates. Par exemple, ce n’est pas la barre de chocolat qui fait grossir, mais le fait de ne plus savoir la manger. Les gâteaux sont normalement dégustés dans certaines circonstances, partagés avec certaines personnes dans un cadre particulier. Si on se met à les manger n’importe où et n’importe comment, ils ne sont plus encadrés par ces régulations sociales.
 
S.M. : L’obésité est-elle liée à un problème de classe sociale ?
Il y a certainement un problème social qui joue, bien que les choses soient beaucoup plus complexes. D’anciennes études mettent en avant la progression de l’obésité dans les couches défavorisées. Les dernières études, elles, montrent un phénomène nouveau : l’obésité progresse beaucoup plus vite dans les couches favorisées que défavorisées. Mais son importance reste toujours supérieure dans les classes défavorisées où il y a des apprentissages de la nourriture qui ne se font pas. La nourriture est aussi utilisée pour pallier des existences plus difficiles. A l’inverse, dans les classes supérieures, il y a beaucoup plus de troubles du comportement alimentaire parce que les comportements de contrôle sont beaucoup plus développés. Et ceux qui sont le plus exposés sont les enfants car ils n’ont pas la même capacité à mettre en place ces comportements de contrôle, ils sont plus fragiles.
 
S.M. : Qu’a répondu Jean-Marie Le Guen à la lettre du GROS et accepte-t-il vos propositions ?
J-P.Z. : Monsieur Le Guen ne nous avait pas auditionnés par rapport à cette proposition de loi. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous lui avons adressé cette lettre ouverte et que nous nous sommes invités dans le débat. Il nous a répondu que nous n’avions pas très bien compris ce projet. Nous ne l’attaquons pas sur ses intentions qui sont bonnes mais sur la façon dont il va s’y prendre. Nous ne nous sommes pas entendus sur ce point. Mais pour le moment, il ne nous a pas sollicités davantage.
 
S.M. : Comment voyez-vous l’avenir par rapport à l’obésité ?
J-P.Z. : Je ne sais pas comment les choses vont évoluer. Mais les mauvaises solutions qui sont en train de se développer vont aggraver la situation.